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Causeries et lichouseries
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14 décembre 2012

NOVEMBRE 2012: Les sujets

Le jour où j'ai eu une peur bleue

Le jour où j'ai eu une peur bleue j'ai tout de suite vu rouge ! Et à vrai dire, là était la véritable peur. Mon frère s'amusait souvent à se cacher derrière les portes pour me surprendre et à chaque fois il obtenait le résultat qu'il attendait : un bond doublé d'un cri suivi par un chapelet d'insultes bégayées voir inventées. La suite on la devine : il s'agissait pour moi de le rattraper dans sa fuite hilare pour terminer en aboyant derrière la porte de sa chambre.
Un jour où je devais être particulièrement rêveuse, sa mauvaise plaisanterie m'a tellement secouée que j'ai réussi cette fois-ci à le rejoindre sur le canapé dans une mêlée abominable. J'ai dû réaliser un instant que j'avais l'ascendant et je me suis vue fuir le séjour pour aller me cacher dans ma chambre, le laissant essoufflé et estomaqué, son rire complètement ravalé ! Ma colère transformée a  été, pour ainsi dire, une belle peur bleue !

Certains souvenirs d'enfance font encore écho en nous en grandissant, on en garde les sensations intactes. Là, justement, l'écho était inexpliqué... Je devais avoir 12 ans, j'étais seule à la maison pour la soirée. Ma chambre se trouvait à l'étage, j'y étais occupée à je ne sais quoi, quand j'entendis du bruit au rez-de-chaussée. Des bruits de vaisselle dans les placards de la cuisine. Je n'étais pas très courageuse, plutôt le genre à me cacher sous le lit en espérant passer inaperçue qu'à descendre affronter l'intrus ou le mystère ! J’appelais timidement : « maman ?... » Pas de réponse, les mêmes bruits dans le silence. J'appelais alors ma copine : en ces temps révolus, les téléphones avaient des fils . Elle m'encourageais : « vas-y, descend voir ! ». Facile pour elle, à l'abri à l'autre bout de la ligne ! J'avais une peur bleue, aucune explication rationnelle pour relativiser. Je descendis malgré tout à pas de loup, mais... personne. Rien à signaler, rien de curieux dans les placards, pas la moindre petite souris les yeux brillants. J'en étais pour mes frais et ma copine un brin déçue. Mais les lumières restèrent toutes allumées ce soir là.

Quand j'ai eu peur de ne pas arriver à m'endormir.

C'était une saison déraisonnable, hantée par la mort. Une fissure s'était fait jour au cœur de mon être. Ma fragilité, ma finitude, se rappelait à moi régulièrement. Mes journées, peuplées jusqu'à l'étourdissement des bruits et des fureurs du monde dont j'aimais m'étourdir, étaient hantées par une angoisse diffuse que je n'analysais pas. Un premier coup de semonce m'avait laissé épuisé, sonné. Un rickshaw-wallah suspect nous perdant à Bénarès, au sortir d'un nuit de veille dans un train bondé, par les rues noires de monde et baignées d'un jaune de réminiscence. Un gérant d'hôtel chauve et borgne accompagné de deux acolytes, les tentateurs de Pinocchio, dépareillés à souhait. Le registre annonçait une douzaine de clients mais les chambres aux portes écaillées étaient gardées par de lourds cadenas. La cabine de douche auprès de l'escalier abrupt avait des yeux et des oreilles. La nuit venait, nous n'avions pas dîné, et le rôdeur veillait, voyeur. Les murs bleus étaient sordides dans la lumière agressive des néons. Des barreaux aux fenêtres interdisaient toute fuite. Je gardais bien en main un couteau sous l'oreiller, prévoyant de déplacer la frêle armoire devant la porte en cas de tentative d'intrusion. Je ne me souviens pas que le sommeil m'ait surpris. Je fus réveillé par une chasse d'eau.
Quelques jours plus tard, à Zurich. Deux nuits blanches m'avaient embrumé l'esprit. Un grand brun au type turc, bel homme, bien habillé. Il a une cartouche métallique dans la chaussette. Je l'ai vu quand il a relevé son pantalon en croisant les jambes assis sur le fauteuil de la salle d'attente de l'aéroport. Dans le sas qui nous conduit à l'avion, j'avance en sentant sa présence dans mon dos. Je ne peux déjà plus proférer une seule parole. J'hésite à avertir les stewards, les hôtesses. Un poids écrasant m'accable soudain. Vais-je retarder l'avion, conduire de possibles innocents à être l'objet de fouilles inquisitoires ? C'est ma lâcheté qui me dicte ces scrupules, ce vieil intellect se prostituant à toute passion qui les justifie. L'avion décolle. J'ai une conscience froide de ce qui va advenir. Je nous sais condamnés. Devant moi, un grand noir échange des regards avec mon jeune turc qui a refusé de placer son sac banane dans le coffre au-dessus de lui. Le terroriste va aux toilettes au fond de l'avion. Il échange quelques regards appuyés avec un couple situé au dernier rang. Je ne peux plus parler. Mon sandwich me passe. Je n'éprouve rien qu'un sentiment de paralysie. Je ne souffre pas pour les autres. Je ne regrette rien. Je n'ai plus d'amour. Je me prépare interloqué à l'issue fatale.

Il faisait nuit, il faisait noir, il neigeait. Je me trouvais la tête en bas dans une voiture les quatre pneus en l'air. J'étais seule au fond d'un ravin à 15 mètres en contre-bas de la route que je venais de quitter, mauvaise sortie de route, virage raté. Je n'entendais rien si ce n'est une voix, la mienne dans ma tête tout d'abord. Puis des cris, des appels, le silence à nouveau. Puis à présent des cris, des appels à nouveau qui s'approchent. Enfin une lumière blanche, une voix claire, une main noire qui fit s'évanouir ma peur bleue lors de cette nuit noire.

La femme gluante est sortie de l'armoire où dormaient les vêtements de chasse de mon grand-père mort. Il y avait longtemps déjà que je soupçonnais cette grande armoire de merisier de receler une femme gluante. Mes nuits, face à cette armoire, et malgré l'édredon épais que m'octroyait généralement ma grand-mère, étaient toujours sans sommeil.
Je guettais.
Il y avait ces bruits de succion, les glissements humides des cuisses flasques, l'une contre l'autre. Mon hypothèse était que cette femme avait été noyée, certainement dans de la vase. Son esprit ne trouvait pas le repos, son corps non plus, moi non plus. Elle sortit de l'armoire une nuit de décembre, que bleuissait une vague lune froide. Elle me voulait du mal. Beaucoup de mal. Et que je n'oublie jamais sa bouche sans dents, sans lèvres, où perlait de la boue, son nez sale et ses orbites vides. Heureusement pour moi, elle se déplaçait lentement, glissait sur le parquet de chêne. Je pus quitter la chambre à temps, claquer la porte derrière moi et alerter ma grand-mère dont le dentier dormait près d'elle, englouti dans un verre.

Le jour où je me suis senti pousser des ailes

J'ai fait ma liste. Je fais souvent des listes. Celle-ci suit l'ordre du temps.

  • La nuit où j'ai découvert e-bay et tous les placards de toutes les femmes de France.

  • Le jour où sur l'autoroute nous avons décidé de vivre ensemble.

  • Le jour où j'ai fais cours pour la première fois à mes affreux 1ères S avec a certitude qu'Il m'aimait.

  • Le jour où j'ai lu au milieu d'un champ lors d'un voyage itinérant en vélo. Je vivais comme une bohémienne, comme Rémi sans famille et c'était si simple, si doux, que toutes mes peurs se sont affaissées comme des méduses sur le sable.

  • Le jour où j'ai réalisé que le bonheur c'était d'aimer des auteurs vivants qui vous font de temps en temps des cadeaux presque personnalisés.

  • Le jour où j'ai compris que les « trouvailles du lundi » avaient écorné ma misanthropie. Internet me rend plein d'étrangers aimables et j'en ai presque pleuré.

  • Le jour où à 33 ans j'ai appris un nouveau langage.

Le jour où je me suis sent pousser des ailes, j'étais sous terre. Précisément, j'attendais le métro dans une station en sous-sol. Un peu plus tôt dans la journée il y avait eu quelques prémices à cette sensation, alors que je venais de passer une bonne heure debout sur une chaise pendant une leçon de chant. Le travail de la voix lyrique, perchée sur cette chaise, recherchant l'équilibre ancrée au sol et jusqu'au plafond, m'avait vraiment demandé un grand effort. Mais en rentrant chez moi, la récompense avait été un état de légèreté intense comme si les couloirs du métro étaient devenus une piste d'envol...

Naturellement, comme tout le monde, je rêvais d'ailes amples, duveteuses, profilées, élégantes, ergonomiques. Des ailes d'aigle ou de cygne. Des ailes de concorde.
Il me poussa des ailes de mouche. Sèches et translucides, vibrionnantes, produisant un bourdonnement d'autant plus désagréable qu'il ne s'accompagnait d'aucun envol : les ailes de mouche, ridiculement réduites, étaient absolument insuffisantes pour permettre à mon corps de décoller, fût-ce d'un centimètre.
Je vrombissais en vain, bombinais de rage, zinzinnais à la moindre contrariété. Mes réflexes d'humain ne m'ayant pas quitté, il m'arrivait même, par inadvertance, de me fouetter le dos à grands coups de tapette, croyant de bonne fois qu'un coléoptère me parcourait l'échine.
L'ablation des ailes se fit sans anesthésie, d'un coup sec, à la pince à épiler. Mon médecin de famille les considéra longuement, balançant s'il devait se fendre d'une communication à l'académie. Il renonça finalement et je m'en réjouis. On tire peu de gloire d'un envol avorté.

Après un long bain sensuel et consciencieux, froid, j'étais là à demi-nue contre un rocher, chaud. Soudain, j'ai crié. Plusieurs fois. Une plainte entêtante, moqueuse, exubérante. J'étais la reine du monde, immortelle et insouciante. Je me suis étirée. Ai chié négligemment sur le sable. Puis ai décollé.
Au ras de l'eau d'abord. Et de plus en plus haut, pour étreindre le soleil. Les yeux fermés, planant, piquant, le bec au vent. Tout à coup, le choc !!! Un connard encasqué sur son engin volant m'était rentré dedans.
Que d'émotions mes amis cette nuit là ! J'étais passée du rêve au cauchemar. 

Je me suis senti pousser des ailes quand j'avais hâte d'avoir 11 ans et d'inviter des copains à dormir.
Quand je suis rentré au COLLEGE.

Ça m'arrive parfois, comme ça, pour rien, par la force de ma volonté, de me faire pousser des ailes. Je ne le fais pas souvent, c'est comme les formules magiques, il ne faut pas trop les utiliser de peur qu'elles ne s'usent. Il faut aussi que j'en ai envie, que je sois disponible.... Essayez ! Il faut se détendre, soupirer longuement, sourire_mais pour de vrai. Alors, quelque part dans la poitrine on sent naître une pointe d'excitation, comme lorsque l'on s'apprête à ouvrir un courrier attendu ou un cadeau sous le sapin. Cette chaleur joyeuse et assurée enfle, irradie, c'est comme une vague de bonheur, un moment de plénitude où l'on est juste heureux d'être là.

Sorti du train, le silo de la gare d'Hennebont laissait échapper son habituelle odeur écœurante évoquant la charogne et l’œuf pourri. Mais c'était un instant de grâce. En cheminant le pas léger vers la rivière, je ne pouvais décrocher mon regard du ciel et de la navigation tranquille des nuages aux formes amies progressant vers une trouée naturelle. Tout à coup, toute ma vie , ramassée dans un coin confiant de ce ciel délavé et souriant, a défilé devant moi possédée par une musique sublime qui m'annonçait les anges du seigneur et tout fut justifié. Un reste de cette extase continue à se promener avec moi.

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